En découdre by Nathalie Azoulai

En découdre by Nathalie Azoulai

Auteur:Nathalie Azoulai [Azoulai, Nathalie]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fiction
ISBN: 9782818048740
Éditeur: POL Editeur
Publié: 2019-01-15T00:00:00+00:00


Tous les matins, Giorgio Morandi se réveille, prend son café, se passe de l’eau froide sur le visage, ou reste enveloppé dans la brume du sommeil pour que ses visions ne s’en aillent pas avec elle. Puis il entre dans son atelier. Des dizaines de toiles le regardent, toutes avec des bouteilles, seules les couleurs et les formes varient, mais ce sont quasiment les mêmes motifs qui reviennent. Tantôt dans des tons mats, très aplatis, très fades, tantôt dans un orange éclatant, providentiel. Giorgio fabrique ses pigments lui-même, dans un bol, comme Uccello, comme Piero. Ce n’est plus de la peinture, c’est une quête obstinée, le peintre est missionné pour trouver quelque chose. Tu fais quoi aujourd’hui ? lui demande sa mère ou l’une de ses sœurs. Et Giorgio de répondre, comme hier, comme tous les jours d’avant et comme tous ceux qui viendront. Il en mourra, pense peut-être sa mère. Sinon je meurs, se dit-il. Mais après toutes ces années, ni sa mère ni ses sœurs ne posent plus de question, on le laisse glisser de la cuisine à sa chambre, on ne le dérange pas pour venir à table, il ne fait plus vraiment partie de la famille, c’est un étranger, un esprit malade, on le laisse. Qui de nous deux serait l’esprit malade ? Vous pensez, une femme, jeune, fringante, qui vient ici tous les jours et qui s’assoit pendant de longues minutes, parfois même une heure, à regarder des natures mortes quand elle pourrait œuvrer utilement pour la société – elle doit bien avoir quelques diplômes pour écrire dans son carnet et apprécier l’art –, quand elle pourrait travailler, gagner de l’argent, ou s’occuper de ses enfants si elle en a. Ou je ne sais pas, faire les magasins, au moins enrichir les braves commerçants de la ville, au lieu de se pâmer devant des choses qui, depuis longtemps, ne rapportent plus rien à personne. Sauf à vous. Je le vois souvent dans vos yeux que vous vous dites ça lorsque vous me regardez en coin et que vous détournez aussitôt la tête pour ne pas me gêner, ne pas risquer de me faire penser que vous m’accordez le moindre intérêt. Car vous ne devez accorder à aucun visiteur le sentiment d’une quelconque singularité. Nous passons autour de vous, près de vous, nous sommes des corps transparents, interchangeables, et nous formons une danse universelle si bien que pris dedans, dans cette universalité qui déambule, vous en venez vous aussi à ne plus vous singulariser, à vous prendre pour un universel parmi les universels, notre égal en somme. C’est peut-être stipulé dans votre règlement, ça aussi, en toutes lettres ou entre les lignes, c’est le mensonge auquel on vous fait croire et qui vous dompte. Mon égal ? Vous ? Ne suis-je pas devant vous, comme vous devant moi, une énigme incapable de jamais éveiller dans votre regard plus que de l’hébétude ? Un sphinx devant un autre sphinx.

J’aurais aimé que Morandi ait eu une autre vie,



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